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    Aujourd'hui, c'était congé. Oublié le speed du boulot. Alors me voilà, splendide dans ma tenue des jours vrais : j'ai coupé le téléphone et  je bricole sagement, un  texte poussif  s'accroche au papier, le fusain et les sanguines  se languissent.
     J'ai soif d'eau qui pétille. Direction la cuisine. J'ouvre le frigo, et là, sans sommation aucune, une bouteille court se fracasser sur le sol. La surprise passée, j'ouvre les yeux : du verre, partout. Le cassis du Pépé de mon colloc. L'étiquette est humide, l'encre semble fraîche. Le liquide se disperse, glisse sur le carrelage.

    Je fixe la tâche. C'est idiot, mais je  la trouve belle cette tâche, poisseuse avec ses grumeaux de verre. Un éclat,  aigu, s'est enfoncé dans  le gras de mon pied nu. J'ai mal mais je reste en place, fascinée par cette mare de cassis qui hume fort le sucré et qui colle  aux pieds.
    Ecoeurante, enivrante.

    J'ôte hâtivement  le bout de verre de la plaie,  j'enfile mes sandales. et je cours chercher l'appareil photo. Clic Clac. Vite  en boite.
    Entre temps la mare vivante a dessiné un dinosaure sur le carrelage. Sourire.
    Ca sent l'été, les jeux d'enfants et puis... et puis cette mare au fond du jardin.

    Soudain, l'Auvergne de mes   six ans, mes huit ans, mes neuf ans.
    Mes vingt neuf ans.

    C'est l'été. Je suis au fond du jardin de Madame Durantet.  Elle est déjà vieille, la voisine. Elle a des canaris qui chantent  dans sa cuisine et elle roucoule comme ses oiseaux, Madame Durantet, avec l'accent qu'ont les vieux d'avant.

    Ecoute... Ecoute les canaris chanter...   Un petit chemin et la mare au fond du jardin. Pataugeoire pour enfants,  paradis des grands.
    Deux libellules, des jonquilles, mille herbes folles, des petits insectes rouges, les gendarmes,  qu'on les appelle, les roses rouges, les roses jaunes, les roses roses,  des pétunias, des cerises, les  iris, les crocus, trois taupes, les mûres, les bleuets, les orties, un lapin,   des cerises, les capucines, des figues,  le cassis... Et aussi le chant strident  des grillons,  chaudes nuits d'été,  les faucheuses, quelques bourdons, des dizaine de moucherons et un seul scarabée mordoré. La canne à pêche de fortune qui titille les  grenouilles, d'un débris de bois, la feutrine écarlate piquée tout au bout Et elle rient les grenouilles ! Qu'est ce qu'elle rient !

    Respire l'odeur du foin coupé, écoute le son du merveilleux.   

    Le  vent brûlant qui entraîne les peines et   fige le temps.Un avion postal s'éloigne.

    Les pétales de fleurs que je détache un à un, méticuleusement, par couleur, par odeur. Sur le petit banc en bois,  je  broie les pétales  avec une petite cuillère pour en extraire le si doux jus amer. Des  verts, des pourpres, des ocres, des sans couleur. Souvent il manque  un vrai pourpre dans mon laboratoire d'enfant... Alors je   vole  un  grosse rose rouge, de celles qui sont sacrées et qu'on a pas le droit de tuer...Les doigts marbrés de fines lisières sang, tatouages parfumés sur ma peau arc en ciel. Quand l'orgue de pigments est enfin prêt, les petits  pots bien alignés, je m'assois, régalée  comme par autant de bonbons. Alors je cueille la terre, que je mouille avec l'arrosoir en fer blanc, tellement lourd, tellement grand. Je mêle la matière et l'essence de fleurs. Je m'applique, prenant garde à ne pas tâcher ma jolie robe d'été. Des petits animaux, des lapins, des chouettes, des coccinelles, et un hérisson. Un hérisson pissenlit, malhabile, fragile, grand comme mon petit doigt.

    Il est resté là sur le petit banc en  bois, à sécher tout un été.
    Il est resté là sur le petit banc en  bois, à sécher jusque là.

    Dieu que j'en ai saccagé des grosses roses rouges...
    Bien sûr vous fermiez les yeux sur mes petites bouillies de fleurs dispersées. Et vous m'offriez un verre de cassis fermenté dans un verre d'eau, à l'ancienne.

    Aujourd'hui le goût de  votre   cassis m'est revenu, sucré, tendre à mes lèvres.Et je reste là, dans cette  mare de cassis, les yeux fermés, bercée par les effluves de ces  belles journées d'été.

    l y a longtemps que vous êtes partie  au royaume des grenouilles et des fleurs  Madame Durantet.
    Je garde de vous mon amour pour la terre, les senteurs et toutes ces couleurs.
    Et une petite mare de cassis dans mon cœur.
     


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    Tu t'endors sur la  vague métallique
    Tu n'as pas de visage, tu n'as pas de couleur
    Tu t'endors  sur la vague  métallique
    Tu creuses un espace entre ton bras et ton cœur
    Tu ne veux plus de ce corps que tu abhorres
    Tu peins ta chair en blanc.  Elle se mue en pansements.
    Liée, emprisonnée.
    Tu disparais.


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    Hier, ce passage là était vraiment .bien

    Un boulevard  du XIéme.
    J'avance, musique en tête, pensive. Le cœur des Hommes.

    Je l'ai croisé. L'inconnu. La tête ailleurs.
    Il s'est approché, maladroit, à ma hauteur :
    « Vous auriez  une cigarette ? »
    « Bien sûr. Sers-toi. »
    Il m'observe. Silence. Il  s'éloigne.
    Trouble.

    J'ai  traversé le Boulevard.
    Il m'a rattrapée : «  Je suis désolé de vous dire ça mais vous êtes très belle ».
    J'ai souri. Puis j'ai ri : « J'ai rendez-vous, je suis pressée. »
    Un autre regard. Silence.Fuck. On va le prendre ce café.

    Il est grand, mince. Maigre ? Une besace chocolat,  vieillie, en bandoulière. Des jeans. Une veste militaire. Sur l'épaule,  une croix ou bien peut-être une tête. De mort. Le cheveu brun,  la frange qui glisse sur l'œil. Des yeux bleus pâles encadrés par une armature noire. Le nez long, fin, dessiné. 

    Ses lèvres.

    On s'observe. 

    Il écrit. Un roman déjà. Et puis un autre. Il parle avec parcimonie, douceur.
    Je calque son langage.
    l me parlera  de l'économie des mots, du danger de l'ornement dans l'écriture, de la facilité des figures de style. De la fragilité des ressentis. D'auteurs que je connais, d'autres que j'ignorais. De l'instant, de cet instant   où tout bascule. Point break. Des facteurs qui plongent un individu hors  normalité. C'est quoi la normalité ?
    De synopsis, de squelette d'une histoire. De la difficulté de laisser son personnage  évoluer indépendamment  de soi.
    Plages de silence.
    Nous sommes des funambules.

    « Comment je te retrouve ? »
     Magwann. Cherche Magwann. Sourire. Je m'échappe vers la bouche de métro.

    Et puis cette  pression sur mon bras. Un volte face.  Un baiser. Il m'a volé un baiser tendre, furtif, délicieux.  « Je suis désolé de tout gâcher mais j'en avais très  envie ». Il s'enfuit.
    Un éclat de rire,  un éclat de folie, un éclat de vie.
    Ce  texto à une amie : « j'aime la vie ».

    Plus tard je rejoins  Balbc, la douceur et la lucidité, Aodai, le vin au bord des lèvres, le doux ailleurs au fond des yeux , Mesuline les yeux  de chat, féline, .
    Magique.

    Rideau. Métro. 

    Je retrouve   l'ami. Tout est tellement précis, à sa place, en ordre chez lui. Le temps se fige. Des partitions, des livres, de la musique. Il chante l'Opéra, c'est ce que j'aime chez lui.
    Parfois il m'invite là-bas. Et je pleure.
    Tiens, le piano a disparu. Vin rouge.

    Ce soir  il  lit Prima Donna.
    Il  me dit    que j'ai pris du poids et qu'il  adore ça.
    J'enrage.  C'est moi ta Prima Donna : égocentrique, déraisonnable, irritable, vaniteuse. Peux-tu te passer de moi ?

    M'aimes-tu un peu?
     


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    Depuis des jours.
    Tuer le  désir ou bien l'extraire.
    Attendre avec avidité de se plonger dans la matière, toute entière.
    Voler à l'homme ce qu'il ne donnera pas.

    Verrouiller l'espace. Sas hermétique. Plus rien n'existe. 
    Seule la matière. Et le son. Plonger dans ses sensations.
    Malaxer. Caresser. Broyer.
    Hargneusement. Lascivement. Violemment.

    Sexuel. 

    Hybride d'excitation et de frustration.

    Lutter des  heures durant,  la terre saccadée, pétrifiée, pénétrée.
    L'énergie qui s'empare du corps, brûlant.
    Vibrer au son, en boucle, sans cesse, mécanique érotique. 
     
    Autistique.
    Onirique. 

    Corps à corps avec la matière.  
    Chair à terre. En guerre.

    Se passer du sexe de l'homme et engendrer, seule.

    Le laid.

    Brut, animal, féroce, orgasmique.

    Puis le  cri. 
    Suffocante.
    Exsangue.

    Le flux s'échappe.
      
        


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