• Un poisson hors du bocal Acte 2 :

     
    9h. L'incohérence d'un monde. Ok.

    J'ai pris le métro, des bulles plein la tête, épuisée, dans cet état doucereusement cotonneux qui suit généralement  les longues heures d'éveil.Un homme face à moi, la trentaine. Une dizaine de personnes dans le wagon, en ce dimanche matinal. Je m'assoupis, un sifflement pénible dans les oreilles. Je n'y prête pas vraiment attention, je suis simplement très fatiguée. Soudain, comme dans un rêve, la voix de l'homme face à moi s'élève : « Excusez-moi, pourriez arrêter de siffler s'il vous plait, c'est très pénible pour tout le monde ».

    Aussi sec, à quelques rangées de nous, un jeune homme se lève menaçant, en hurlant :,« Quoi !! Qu'est –ce que  t'as espèce de batard ! Tu demandes à un mec d'arrêter de siffler dans un lieu public ?? ! Mais t'es un taré toi ! Tu demandes à un mec d'arrêter de siffler dans un lieu public ! Je fais ce que je veux connard ! »
    L'autre homme lui répond, en haussant le ton : « Mais  attendez, ça agace tout le monde votre sifflement là ! »
    Le jeune homme gesticule, menaçant ! « Ah ouais ! ? T'es pas content connard, viens là je vais te mettre des tartes dans ta gueule ! ».
    Il continue à l'insulter, à vociférer tandis que l'homme assis en face de moi, surpris par cette violence n'arrive plus à rétorquer et pousse des soupirs d'incompréhension.

    A cet instant de l'altercation, je m'interroge : je suis partagée, car  même si effectivement ce sifflement était  très agaçant,  je ne trouve pas une réelle légitimité dans  la demande du mec en face de moi. Le jeune siffle et alors ? C'est plutôt sympathique.

    Seulement le jeune mec continue à crier de plus belle. Je me sens à mon tour agressée par autant de violence et instinctivement, sans un mot, je fais un geste de la main au jeune, « piano piano » pour lui demander de calmer le jeu.
    Mon geste qui se voulait apaisant déclenche un redoublement de violence de la part du jeune qui s'en prend désormais à moi. « Qu'est ce que t'as toi là-bas avec tes airs supérieurs !! Tu te prends pour qui conasse !! ?

    Je suis sanguine. La violence chez lui a déclenché la violence chez moi. J'ai  hurlé, complètement réveillée : « Oh !! tu vas te calmer !!! Tu me parles pas comme ça !!TOI, tu te prends pour qui ? T'es vraiment pas net de crier comme ça du matin dans le métro ! On est cool là, c'est dimanche,  alors tu te calmes direct ! »
    Et lui de me hurler de plus belle des conneries hystériques. Je commence à me lever, instinctivement, pour l'affronter, face à face, inconsciente, désinhibée par la fatigue Le mec continue à vociférer, sans que personne d'autre ne bronche. Pas un mot, pas un geste.
    Prêtant attention à ne pas utiliser des mots emprunts de vulgarité et  voulant sortir du tutoiement dans lequel il m'avait plongée, je lui hurle à nouveau, mot pour mot : « Monsieur, vous êtes un abruti fini ! Espèce d'imbécile ! ».Il descend à la station, toujours à force de cris et de gesticulations et nous balance : « Allez  votez Le Pen !!! »

    Je suis scotchée par tant de haine, de bêtise et d'incohérence. Je lui crie : « Mais c'est complètement incohérent ! C'est quoi le rapport avec Le Pen là ?!! ». Je me fais alors la réflexion que ce mec est typé maghrébin. Il descend en furie, tape au carreau derrière moi et crie au mec d'en face : «Toi t'es un  sale batard, enculé, connard va ! » puis me balance : «Et toi t'es une  sale pute !! Vas voter Le Pen connasse ! ». L'échappée courageuse de ce mec ne m'a pas laissée le temps de lui dire que c'est à cause de comportements comme le sien que des gens votent Le Pen.

     L'énergumène s'enfuit, les gens se lâchent enfin. Une femme  voilée me fait un sourire de connivence, perplexe, un black explose d'un  rire de pitié, se moquant de la bêtise du jeune mec, tout le monde commence à discuter, soupirer, rire. Le mec assis en face de moi, navré, ouvre les mains et me lâche un merci dans un sourire. On s'échange quelques mots.
    Je souris à mon tour, la pression est redescendue et je ferme les yeux, m'assoupissant quelques stations, tout en songeant à ma peau mate qui m'a parfois été reprochée.Un souffle me réveille. L'homme en face de moi a déposé un bisou sur mon oreille et me fait un signe de la main avant de sortir du wagon.

    Je suis allée voter aujourd'hui, heureuse d'avoir ma liberté de penser, indépendante des sursauts d'agressivité de certains phénomènes. Jeune homme, si j'ai bien compris tes insultes, tes recommandations politiques, quant- à elles, m'ont échappées. Et je sifflote sur la bétise.

    Musique clin d œil à Bolu, made by Etienne de Champfleury, ami de la Miss.


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